samedi 22 juillet 2017

Le Prophète : maniéré et sublime à la fois


Des épis de bras ondulent dans le champ de blé. À cour les trois Moires encapuchonnées filent, Atropos coupe le fil d'un coup de ciseaux emphatique. Les trois anabaptistes incognito ? Non, quelque symbole incongru qu'on ne reverra pas.
Le Comte d'Oberthal est amené sur une plate-forme à roulettes, juché sur un cheval de plâtre, pouvoir inique et ridicule à moitié statufié. On retrouvera plus tard ce cheval en petit morceaux.
La fête villageoise est placée sous le signe d'un bœuf éventré aux entrailles sanglantes – préfiguration des pendus du camp des anabaptistes ? cependant que Jean sert des brocs dans sa taverne retable.
En hiver, le lac est gelé, les patineurs patinent, mais personne ne semble avoir froid. Au lieu d'étoffes précieuses, les jeunes filles trouvent des tutus courts et bariolés dans les coffres, très commodes pour danser, mais totalement anachroniques. Un étrange soleil bleu comme une orange descend des cintres.
Sur fond de porte-cierges géants, la Cathédrale de Münster brille de tout le faste du sacre le tableau visuellement le plus réussi. Quelques filles légèrement vêtues portant palmes annoncent la débauche. Le peuple, lui, a les yeux cernés par l'oppression.
Au dernier acte, une sorte de Cri de Munch entouré de rideaux de douche pailletés tient lieu de caveau. Au palais, ce sont des morts vivants, verdâtres, décharnés, qui acclament le prophète, âmes des trépassés d'une nuit de Walpurgis où les filles presque nues versent à boire. La pyrotechnie bien circonscrite se déclenche, un pétard fait un petit feu d'artifice et rien ne s'écroule.

La direction d'acteurs de Stefano Vizioli abuse de poses éplorées, de bras au ciel et d'immobilités archaïques, Berthe et Fidès en étant les principales victimes. Les trois anabaptistes, dont un seul (pourquoi ?) porte des lunettes noires, auraient pu être plus inquiétants. Si l'on apprécie que le ballet soit présenté, il vient hélas comme un intermède déconnecté – par le style, les costumes – de l'intrigue : des entrées dansées en tutus (en plein hiver donc) dont la seule « audace » chorégraphique consiste à tomber par terre.

 




Mais, sous la direction attentive de Claus Peter Flor, ce sont la musique et la voix qui sont sacrées en cette soirée. John Osborn incarne un Jean tout en nuances et en retenue scénique, dont les multiples couleurs vocales du songe font frissonner de plaisir. La Fidès de Kate Aldrich n'est fort heureusement pas artificiellement vieillie ; on admire son aisance dans la difficulté du rôle, les aigus faciles et les graves abyssaux qui restent audibles et beaux. Desservie par une gestuelle caricaturale, Sofia Fomina triomphe vocalement en Berthe, même si la puissance peut paraître démesurée pour l’acoustique du théâtre. Les trois anabaptistes de Dimitry Ivashchenko (Zacharie), Mikeldi Atxalandabaso (Jonas aux lunettes noires) et Thomas Dear (Mathisen) sont parfaits, bien caractérisés. Seul le Comte d'Oberthal de Leonardo Estévez est en retrait, montrant parfois quelques approximations d'intonation. Les artistes du chœur chantant solistes sont, comme à l'accoutumée, excellents. L'ensemble du chœur, adultes et jeunes, admirablement préparés par Alfonso Caiani contribue aux grands moments de la représentation.




Et le moment le plus intense, celui que le spectateur d'opéra vient chercher, celui qui fait monter les larmes aux yeux, est l'entrée des enfants de chœur de la cathédrale de Münster, voilés, couronnés de fleurs, yeux cernés de noir, faces blanchies, portant bougies ; leurs voix d'anges soulignées d'orgue s'élèvent, avec ce son unique, sublime, qu'est celui de la maîtrise du Capitole.


Photos © Patrice Nin
Capitole, 30 juin 2017

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