samedi 24 février 2018

La Walkyrie : humains, profondément humains


Nicolas Joël et Ezio Frigerio ont conçu une écrasante symétrie, des décors imposants – ou s'imposant – en miroir, miroir des doubles contraintes, des dilemmes.

L'ordre du noir manoir de Hunding est perturbé par cette table de bois anachronique où le maître de maison, jouant avec son couteau, n'invite pas l'hôte égaré. Haine, hospitalité : l'hospitalité doit primer, mais la table sera renversée rageusement.
Chez les dieux, les escaliers, degrés des valeurs morales, sont le théâtre des jeux de dominations, du choc des arguments : les certitudes titubent sur les marches et contremarches de l'amour et du devoir. Et les Walkyries malmènent des cadavres hyperréalistes tandis que des chevaux statufiés s'emballent sur l'arc de triomphe ancré sur le rocher ; le divin n'est plus que pierre, et c'est l'humain en chair et en os, mortel, qui devra construire l'ère nouvelle.


Reprenant la mise en scène de Nicolas Joël, Sandra Pocceschi insiste sur les regards, la duplicité des personnages, les hiérarchies qui se défont. Wotan – et l'interprète y contribue largement – est particulièrement fouillé, dieu déjà plus très dieu dans son habit et ses façons. Cependant on n'échappe pas aux lances violemment projetées au sol à chaque accès de colère, ou aux personnages qui se jettent systématiquement par terre lorsqu'ils sont contrariés.

Siegmund est soigneusement vêtu pour quelqu'un qui vient de subir orage, tempête et ennemis ; mais si Michael König est quelque peu emprunté dans sa cotte, le chant fait passer l'émotion que le corps ne dit pas. Avec de belles notes graves et de formidables aigus, Daniela Sindram compose une Sieglinde tourmentée, saisissante dans sa scène d'hallucination. Loin d'un Hunding monolithique, Dimitry Ivashchenko conjugue finement brutalité et noblesse.


Les injonctions de la sublime Flicka d'Elena Zhidkova, divine sur les plus hautes marches de l'escalier, contraignent Wotan à rester en bas, humain, trivial. Tomasz Konieczny privilégie alors le théâtre et le sprechgesang. Mais après une chevauchée de Walkyries riantes, criantes voire hurlantes, le dieu miné par un déchirement profondément humain retrouve une musicalité qui rend passionnant le dialogue père-fille jusqu'à l'émouvant baiser d'adieu. Anna Smirnova parvient à dompter la puissance de ses cris de guerre d'entrée pour faire passer dans sa Brünnhilde toute une palette de sentiments au fur et à mesure que l'armure se fend.
Claus Peter Flor réussit comme toujours un parfait équilibre entre l'orchestre et le plateau – orchestre sublime et magnifiques solos qui émeuvent tout autant que le chant.

Et comment ne pas penser à Patrice Chéreau, dont Nicolas Joël fut l'assistant pour son Ring à Bayreuth en 1976 lorsque, après la manifestation du feu Loge dans sa petite jarre, la fumée rougeoyante fait disparaître la silhouette tout armée de Brünnhilde, sous le regard d'un père, humain, forcément humain, qui ensuite détourne le regard et quitte la scène.



Photos © David Herrero et Frédéric Maligne
Capitole, 11 février 2018

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