dimanche 21 février 2016

Il Trovatore : le comte et la gitane


Ce sera Hui He ce soir. Murmure de déception dans la salle de cinéma, qui attendait Netrebko. Comme si on avait oublié la magnifique Butterfly de la Halle en 2012. À Paris quelques malotrus, confortablement assis, courageusement tapis dans le noir de Bastille, lanceront des insultes. Est-ce vraiment aider et respecter une artiste qui remplace, s'expose, se jette dans l'arène ?



C'est la guerre, peut-être la Grande guerre avec ses capotes et tranchées. Peut-être pas. Une guerre symbole de toutes les guerres. La guerre qui sous-tend Le Trouvère. Morts, blessés, déplacés. Champ de croix, champ de ruines, exécutions sommaires. Le délire de la gitane est hanté de fantômes sans visages, étranges et effrayantes apparitions dont les masques à gaz font le rictus.

Alex Ollé et Alfons Flores, par le truchement d'astucieux monolithes noirs qui s'élèvent ou s'enfoncent, passent sans précipités d'un lieu à l'autre, de l'intérieur à l'extérieur, de l'action aux illusions. Du vert glauque, du rouge sang (fascinantes lumières d'Urs Schönebaum) vient s'accrocher sur une face, souligner une arrête. C'est le décor qui vit dans cet univers de mort. L'esquisse et la fluidité font l'efficacité, la beauté.

Pourquoi donc, alors, avoir laissé la vraie vie sur le plateau ? Mis ce rideau-miroir en fond de scène où se reflètent, tels des intrus, chef et spectateurs ? Avoir transformé le plateau en parcours d'obstacles – il faut éviter trous, marches et filins ? Les artistes semblent d'abord regarder où ils mettent les pieds et déambulent sans but entre deux pièges.






Il y a plus de nuances dans le noir que dans le blanc [1]. C'est un splendide Comte de Luna qu'incarne Ludovic Tézier alliant phrasé, diction, longueur du souffle, à un visage qui conjugue l'amour fou, la jalousie, la violence contenue. Dans le cloître, tout se tait pour une tempesta del mio cor dont la dernière syllabe, suspendue, semble ne jamais s'achever.



Regards provocateurs, postures de défi, l'Azucena d'Ekaterina Semenchuk est vengeance plutôt que mère adoptive. Les sons filés, les fins de phrases chantées piano, rares chez ce personnage, magnifient douleur et noirceur.

Peu d'alchimie entre Manrico et Leonora. Ces deux-là sont-ils vraiment amoureux ? Marcelo Alvarez prend un élan de sauteur en hauteur pour projeter ses aigus, et les efforts sont visibles. Ses interventions depuis la coulisse, cependant, sont magnifiques. Hui He a résolu les problèmes d'intonation qu'elle avait à Orange et propose un beau médium. Mais, visiblement tendue et perturbée par l'accueil de certains, elle craque plusieurs fois ses aigus.

Dans le cachot Azucena ressasse son cauchemar en berçant une couverture roulée. Substitut dérisoire de l'enfant qu'elle a précipité dans les flammes, et de celui qui va mourir, sous nos yeux, de la main de Luna. La gitane hurle la révélation, tourne l'arme contre elle, fait feu. E vivo encor ! s'écrie Luna épouvanté, considérant son pistolet. Pour combien de temps ? Noir.

[1] Ludovic Tézier, entretien avec Alain Duault

Photos © Charles Duprat / Opéra national de Paris

Retransmission en direct de l'Opéra Bastille, UGC Toulouse, 11 février 2016

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