dimanche 21 septembre 2014

La Fanciulla del West : kitsch comme un ballon


Entrer pour la première fois au Wiener Staatsoper, comme par effraction, par une petite porte de côté. Hésiter, monter, descendre, demander, se perdre un peu. Dans quelle direction La Polka ?



Il n'y a pas de Polka, pas de Wild West. Mais des containers empilés, échoués là dans l'attente d'un ailleurs. Un provisoire que les gars ont aménagé. Là-haut on se change, on s'éponge, on s'essuie. En bas on a fait un bar de fortune autour d'une baraque qui s'ouvre et se ferme comme une boîte. C'est lugubre, vaguement inquiétant. Alors on a mis un ou deux juke-box, accroché des guirlandes de baloche à côté des casques suspendus. Un vieux transistor diffuse la chanson de Jack Wallace, Che faranno i vecchi miei. Il y a une malle à l'avant-scène. En jeans et chemise à carreaux, cheveux courts, Minnie est un corps asexué qui veille sur d'autres corps asexués [1], épuisés par le travail, minés par la nostalgie, infusés de frustration et de violence.


Minnie habite un mobil-home avec lit escamotable et petit réchaud à gaz. Au loin, des montagnes de carte postale. La malle est toujours là, à l'avant-scène. Pendant sa drôle de pantomime de la colère, devant le rideau fermé, alors que le décor est bruyamment changé, le shérif Rance n'y jettera même pas un regard.
Un butoir et un wagon. Fin de voie, la mort. Début de voie, la vie, nouvelle, sans passé. Grillages et barbelés, toujours les montagnes au loin, inaccessibles. Toujours la malle. Étrangement la corde tombe des cintres, alors que depuis le début de l'acte, Billy Jackrabbit s'employait, dans un coin, à la préparer.


C'est l'orchestre, l'acoustique fantastique de la salle, qui immédiatement provoquent l'émotion, et emportent corps et âme dans la déferlante puccinienne, dans les bourrasques de la machine à vent. La mélodie est dans l'orchestre plutôt que sur la scène [2], tant et si bien qu'aucun des chanteurs ne passe la rampe : chœurs inaudibles, solistes en limite de cri, paroles incompréhensibles. José Cura et Thomas Konieczny se battent à contre-courant et en perdent leur engagement scénique : Dick Johnson est assez peu concerné par son état de bandit (il ne cherche même pas à voler l'or, d'ailleurs où est-il ? dans la malle, peut-être ?), de blessé par balle, d'amoureux ou de futur pendu ; Jack Rance est à peine méchant. Seule Ninna Stemme parvient à se faire entendre, de ses hommes et du public, et sa noble tricherie au poker est haletante.

Ὣσπερ ἀπο μηχανης [3], Minnie apparaît juste avant le moment fatal, et Dick et elle disparaissent quelque part, dans une sorte de rédemption qui laisse le public perplexe [4].
Dans la mise en scène de Marco Arturo Marelli, le kitsch scénique a été éliminé [5]. Las, pour cette improbable rédemption, c'est une montgolfière aux couleurs arc-en-ciel descendue des cintres qui enlève le couple vers une nouvelle vie, cependant que tout le plateau s'enfonce, les gars, la corde, le wagon, effet de décollage sous le regard hilare de la moitié du parterre.

Et les spectateurs, ayant certainement eux aussi une montgolfière à prendre, s'empressent de quitter les lieux. Les artistes reviennent saluer devant une salle rallumée, aux trois quarts vide. Mais ceux qui restent, enthousiastes, sont récompensés par de magnifiques regards de remerciement. L'émotion est là, aussi.

[1] Rotraud A. Perner – A clean heart. La Fanciulla del West, programme de salle du Wiener Staatsoper, 2013
[2] Andreas Lang – Not a Western opera. La Fanciulla del West, programme de salle du Wiener Staatsoper, 2013
[3] comme de la machine (Démostène)
[4] GMD Franz Welser-Möst, interview – Fanciulla is a conductor's piece. La Fanciulla del West, programme de salle du Wiener Staatsoper, 2013
[5] Andreas Lang – And Jeritza fainted. La Fanciulla del West, programme de salle du Wiener Staatsoper, 2013

Photos © Wiener Staatsoper / Michael Pöhn

Wiener Staatsoper, 14 septembre 2014