mercredi 28 mai 2014

I due Foscari : les deux faces du doge

Ritratto del Doge Francesco Foscari dalla Porta della Carta. Museo dell'Opera del Palazzo Ducale, Venezia



Francesco Foscari, dans la pénombre, considère son imposante effigie, sa propre tête, tête aux yeux morts, vanité. Car l'homme de pouvoir doit tuer l'homme sensible. Symbole facile mais efficace, le père se terre de l'autre côté de la statue. Sombre cabinet intime où quelque chandelle n'aurait pas nui. Mais il n'y a point de lumière dans les lois iniques. Devenant gueule où bouche et nez sont amputés, greffée de barreaux sinistres, la tête écrasante vomit implacablement les condamnés, fussent-ils un fils. Venise est joyeuse, il fait beau et bleu sur les gondoles des bouffons, mais la liesse est fragile comme l'équilibre du fildefériste. La tête du doge, monumentale et décrépite, sombrera dans l'aqua alta.



C'est par son admirable baryton que Sebastian Catana émeut en puissant qui doit abdiquer son amour paternel, l'acteur restant trop souvent impassible ou emprunté pour susciter la compassion. Point d'amplesso père-fils d'ailleurs, l'étreinte sera seulement dite, sans un regard réciproque. Loqueteux, hirsute, Christ au chemin de croix, Aquiles Machado peine à faire croire qu'il est assailli par mille e mille spettri, qu'il se désespère de son injuste exil, trop occupé à lancer de fréquents coups d'œil vers le chef. Cependant la voix est belle, bien nuancée, malgré un léger vibrato dans des aigus parfois forcés. Quelque peu encombrée par sa haute stature qui domine ses partenaires, la Lucrezia de Tamara Wilson fait craindre une Castafiore vociférante dans ses imprécations vengeresses du 1er acte. Mais quand le volume n'est pas forcé, c'est le beau chant qui triomphe sur tout l'ambitus. Semblant en retrait vocalement – car lui ne hurle pas – Leonardo Neiva, beau, altier et condescendant, porte haut le cynisme de Loredano. Le personnage sera salué par des huées.

Les yeux à hauteur du plateau, Gianluigi Gelmetti est très attentif à ses chanteurs, qui ne sont jamais couverts par l'orchestre. Les chœurs sont particulièrement émouvants, et le Silenzio, mistero des Dix, rouges et noirs dans la pénombre, crée d'emblée une atmosphère étrange, effrayante, magnifique.



C'était la dernière. Aquiles Machado, visiblement ému, a remercié la scène ; et l'aqua alta s'est déversée dans le caniveau derrière le théâtre. Ainsi finissent les grands.

Photos © Patrice Nin

Théâtre du Capitole, 25 mai 2014 

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