dimanche 13 janvier 2013

Les Troyens : un demi-dieu, un poète, un marin


Des corps amoncelés. À Troie, à Carthage. Guerre et morts font avancer l'histoire.


Visions, prémonitions. Le cheval apparaît dans un œil qui deviendra plus tard l'oculus du Panthéon de Rome. Cassandre (Deborah Voigt) a le visage et la voix usés, à force de prédire : Cesse de craindre en cessant de prévoir; / Lève vers la voûte azurée / L'œil de ton âme rassurée. Apollon, parce qu'elle s'était refusée à lui, la privera du pouvoir de se faire croire [1].


Hector en spectre


Il y a foule pour la prise de Troie. Pour s'y retrouver, les membres d'une même famille portent le même costume. Un jeu de sept familles antique.
Le grand-prêtre Laocoon, fermement opposé à l'introduction du cheval dans les murs de Troie, est, ainsi que ses fils, dévoré par des serpents monstrueux, envoyés par Apollon [1]. Chorégraphie dérangeante pour l'horrible festin, où les enfants sont propulsés en l'air, encore et encore, comme de vulgaires ballots. L'apparition d'Andromaque et de son fils Astyanax (rôles muets), pleurant sur le corps d'Hector, est d'une extrême tension dramatique. Effrayante est celle du spectre d'Hector, livide et sang.




Berlioz a pris quelques libertés avec la mythologie : Cassandre ne se cache pas dans le temple d'Athéna, ne sera pas donnée à Agamemnon [1], mais se poignarde, entraînant dans la mort les femmes qui ne veulent pas s'avilir (les soprani, tandis que les alti – ces éternelles traîtresses – se donnent à l'ennemi grec). Quant aux dieux, ils ont déjà leurs noms latins, alors que Rome n'est pas encore fondée – la faute à Virgile ! Et surtout, Berlioz a fait long, parfois très long : les passages instrumentaux sont un défi pour le metteur en scène qui doit « meubler », d'autant qu'aucune coupure n'a été concédée.
Point d'ellipse à la Purcell, Les Troyens à Carthage est un Didon et Enée dans tous ses détails. Dans cette Carthage où l'on est vêtu pour la pratique du yoga ou du taï-chi, les chorégraphies mal adaptées, sans recherche, font bailler. Assez, ma sœur, je ne souffre qu'à peine / Cette fête importune...

Mais il y a Didon (Susan Graham), son duo subtil Les chants joyeux avec sa sœur Anna (Karen Cargill), son air de désespoir et de folie Ah Ah, je vais mourir, qu'elle chante avec les tripes, après avoir été violemment jetée à terre et ensevelie sous des cordages par les marins troyens. Il y a le poète Iopas (Eric Cutler – qui fut Tamino à la Halle aux Grains en 2010) qui donne l'ode Ô blonde Cérès avec la délicatesse des aigus, les couleurs, la finesse... d'un poète. Il y a le jeune marin Hylas (Paul Appleby) qui dit son mal du pays Vallon sonore en équilibre sur l'échelle de corde du navire, à faire pleurer tous les futurs fondateurs de cités. Et surtout Enée (Bryan Hymel), jeune, beau, incarnation parfaite du demi-dieu, dont les Inutiles regrets vont venir larmes et ovation. Marcello Giordani, titulaire initial du rôle, a bien fait de jeter l'éponge.

Enée (Brian Hymel)

Les spectres sont inexorables : il faut partir. En mer ! en mer ! Italie ! Italie!

Didon (Susan Graham)


La reine Didon avait son trône sur la maquette de Carthage, elle meurt sur l'amoncellement des présents des troyens ; on brûle ses souvenirs pour ne plus y céder. Rome sera bâtie sur le bûcher de l'amour.

[1] Georges Hacquard – Guide mythologique de la Grèce et de Rome, Hachette Education 1990.

Photos © Cory Weaver et Ken Howard (Enée)

Metropolitan Opera Live in HD, 5 janvier 2013

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